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Les brevets logiciels en Europe : un rapide état des lieux

mercredi 22 décembre 2004, par Gérald Sédrati-Dinet (gibus), Rene Paul Mages (ramix)

FFII Groupe de Travail sur les Brevets Logiciels
Contact : contact ffii.fr
22 Septembre 2004

 Qu’est-ce qu’un brevet logiciel ?

  • Généralités

Pour faire simple, les brevets logiciels sont des brevets qui concernent les programmes d’ordinateurs. Ils permettent à leur propriétaire d’interdire à d’autres personnes de les utiliser ou de les commercialiser. Voici quelques exemples de brevets logiciels européens déjà accordés, mais pas encore en date de pouvoir être appliqués :

  • EP807891 : un brevet sur les cartes de crédit électroniques. Ce brevet couvre tous les programmes d’ordinateur contenant la fonctionalité qui permet à un utilisateur de payer plusieurs articles choisis dans un magasin en ligne, au lieu de payer à chaque fois qu’il choisit des articles sur une page web du magasin. Ce brevet a été accordé à la société américaine Sun Microsystem.
  • EP933892 : un brevet sur la distribution de signaux vidéo sur un réseau pour une restitution en temps-réel à l’utilisateur final. Ce brevet couvre tous les programmes d’ordinateur qui peuvent télécharger des signaux vidéo et les restituer sur demande de l’utilisateur. Ce brevet a été accordé à la compagnie américaine Greenwich Tech.
  • EP986016 : un brevet sur la fourniture d’informations commerciales à un consommateur qui le demande. Ce brevet couvre tous les programmes connectés à une base de données contenant des offres commerciales de revendeurs et de fabricants, et qui envoient ces offres aux consommateurs qui le demandent. On peut donc contourner ce brevet en spammant les offres. Ce brevet a été accordé à la compagnie américaine Catalina Marketing Int.
    Ce sont juste quelques exemples parmi plus de 30000 brevets logiciels européens déjà accordés contre la lettre et l’esprit de la loi. On peut en trouver vingt autres sur notre boutique web brevetée illustrée sur :
    Boutique web européenne brevetée
  • Juridiquement

Juridiquement, un brevet logiciel peut être obtenu s’il est formulé de deux manières :

  • En se servant de revendications de procédé. En 1986, l’Office européen des brevets (OEB) a commencé à accorder des brevets contenant des brevets logiciels masqués sous des revendications de procédé (normalement utilisées pour faire breveter la manière de faire quelque chose, par exemple une nouvelle manière de produire une réaction chimique). Ils sont typiquement formulés de la façon suivante :
    1. Procédé pour [utilisant un ordinateur, un clavier, un écran, un disque dur,...], caractérisé par [tout ce qu’on veut faire breveter dans la catégorie des programmes d’ordinateur].

Les brevets accordés sur cette base sont considérés comme hypothétiques, parce que le programme lui-même, une fois distribué sur un disque ou par l’intermédiaire d’internet ne constitue pas un procédé et n’est ainsi couvert par aucun brevet. La simple exécution et utilisation de celui-ci étant alors considérées comme une infraction.

Au final cependant, il n’en reste pas moins que toute utilisation pratique d’un programme d’ordinateur (à savoir son exécution sur ordinateur) sera couverte par un brevet de ce genre, malgré le fait qu’ils sont exclus de la brevetabilité par la loi.

  • En utilisant des revendications de programme. De telles revendications ont été accordées par l’OEB depuis 1998 et sont typiquement formulées de cette manière : (exemple du brevet logiciel européen EP1073245 accordé, pour une méthode d’évaluation du nombre de visites des pages Web)
    • 17. Programme d’ordinateur pour l’application d’une méthode selon l’une des revendications quelconques de 2 à 12 [...]
    • 18. Programme d’ordinateur selon la revendication 17, enregistrée sur un support lisible par ordinateur

Dans ce cas, tous les programmes d’ordinateur qui exécutent ce qui est décrit dans les revendications du brevet sont sous le joug d’un monopole. Alors que ce genre de revendications est sensé seulement couvrir le programme d’ordinateur en question, elles sont en fait des revendications sur des « programmes d’ordinateurs en tant que tels », ce qui est en contradiction littérale avec la loi.

C’est comme si au lieu de monopoliser une réaction chimique, on monopolisait « un livre, un document électronique ou tout autre support d’information décrivant comment exécuter la réaction chimique à partir de la revendication 1 ».

Par conséquent, non seulement l’utilisation, mais aussi la publication et la distribution de tels programmes sont interdits par le détenteur du brevet (tout comme dans le cas d’une réaction chimique, quelqu’un pourrait interdire aux autres non seulement de produire la réaction chimique mais également de diffuser la description de son fonctionnement).


 A quoi servent les brevets logiciels ?

  • Qu’est-ce qu’un logiciel ?

Un logiciel est simplement la description de quelque chose (ce n’est que du texte dans une certaine langue après tout) et les brevets logiciels permettent à quelqu’un de monopoliser tout ce qui est décrit dedans (par exemple, acheter des choses sur internet - EP0803105). La véritable implémentation/description est déjà protégée par le droit d’auteur et c’est comme ça que les entreprises, comme les individus, ont, jusqu’à maintenant, protégé avec succès leurs investissements dans le développement logiciel.

  • Inventions mises en oeuvres par ordinateur

On a pas besoin de brevets sur « les inventions mises en oeuvre par ordinateur » pour maintenir la brevetabilité sur les vraies inventions, quand elles sont décrites par l’intermédiaire d’un logiciel. Un programme d’ordinateur est juste un manuel d’utilisation exprimé dans une langue susceptible d’être interprêté par une machine. Un programme d’ordinateur exécuté par un ordinateur qui dirige l’équipement du laboratoire afin d’exécuter une réaction chimique est fonctionnellement identique à un manuel technique décrivant la même chose.

Alors que la réaction chimique peut être brevetable, le manuel technique ne le peut pas et sa publication ne peut pas constituer une violation de brevet. De plus, le fait que la réaction chimique soit décrite par des mots dans un livre ne rend pas la réaction chimique elle-même non brevetable. C’est pour cela que des règles ont été établies pour la brevetabilité concernant les logiciels dans la Convention sur le brevet européen (CBE) de 1973 : les réalisations décrites par l’intermédiaire des logiciels sont brevetables mais le fait qu’un logiciel soit utilisé pour les décrire n’a aucune influence sur leur brevetabilité et le logiciel lui-même en est exclu.

  • Brevets logiciels

On a seulement besoin des brevets logiciels (ou des brevets sur les « inventions mises en oeuvre par ordinateur » comme ils sont définis par la proposition de la Commission) dans l’intention de breveter des réalisations jusqu’alors inbrevetables, comme des algorithmes mathématiques ou des méthodes d’affaires. Avec les programmes d’ordinateur, ce sont toutes des réalisations qui sont actuellement exclues du champ de la brevetabilité par la CBE. Les brevets logiciels sont utilisés pour venir à bout de ces exclusions, en contradiction directe avec la loi.


 Quel est le problème avec les propositions de la Commission et du Conseil ?

  • Résumé

Les brevets logiciels introduits par la Commission permettent d’en finir avec la CBE en prétendant qu’« un programme d’ordinateur exécuté par un ordinateur » n’est pas la même chose qu’« un programme en tant que tel ». Le résultat final, c’est qu’on peut faire breveter toutes les applications utiles d’un programme (exécuté par un ordinateur) sous forme de revendication de procédé.

La version du Conseil va encore plus loin et implique que l’exclusion de la brevetabilité des « programmes d’ordinateur en tant que tels » signifie seulement qu’on ne peut pas breveter le code source des différents programmes d’ordinateur. Cette interprétation n’a pas de sens, parce que la protection ainsi obtenue serait inférieure à celle déjà offerte par le droit d’auteur et de plus, coûterait de l’argent (contrairement à la protection par le droit d’auteur, qui est automatique et gratuite).
Néanmoins, le Conseil a utilisé cet argument pour justifier l’introduction des revendications de programme dans cette version de la directive et est ainsi allé encore plus loin que la Commission.

  • Exemples d’articles nuisibles et/ou ambigüs

Tous les articles mentionnés ci-dessous se rapportent à la version du Conseil du 18 mai 2004 (disponibles sur 2004-05-18 Accord politique du Conseil de l’Union européenne), mais les deux derniers sont sémantiquement identiques à la version de la Commission.

Article 5.2 : Revendication de programme

Une revendication pour un programme d’ordinateur, seul ou sur support, n’est autorisée que si ce programme, lorsqu’il est chargé et exécuté dans un ordinateur, un réseau informatique programmé ou un autre appareil programmable, met en oeuvre un produit ou un procédé revendiqué dans la même demande de brevet, conformément au paragraphe 1.

Cet article introduit les revendications de programme. Même si le reste de la directive exclut les logiciels de la brevetabilité, ce seul paragraphe est capable de tout retourner. Il permet de breveter les programmes d’ordinateurs « en tant que tels », à partir du moment où ils décrivent une chose revendiquée ailleurs dans le brevet. Notez la double négation et le fait que la condition « que si » pourra toujours être remplie en utilisant la revendication de procédé appropriée.

Article 4 bis : Programme d’ordinateur en tant que tel

1. « Un programme d’ordinateur en tant que tel ne peut constituer une invention brevetable. »
2. « . . .inventions consistant en des programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source, en code objet ou sous toute autre forme. . . »

Ensemble, ces deux modifications introduites par la Commission pendant la session du Conseil du 18 mai 2004, impliquent que l’exclusion « d’un programme d’ordinateur en tant que tel » de la brevetabilité dans la CBE ne concerne que le code source ou le code d’objet des différents programmes d’ordinateur et non les programmes d’ordinateur en général.

L’intention des auteurs de la CBE serait de dire que Microsoft Word XP, par exemple, n’est pas brevetable, mais qu’on pourrait faire breveter le principe des « traitements de texte » (à partir du moment où c’est nouveau et non-évident quand le brevet vient à être demandé).

Article 4 bis (2) : Autres effets techniques

Une invention mise en oeuvre par ordinateur n’est pas considérée comme apportant une contribution technique simplement parce qu’elle implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau ou d’un autre appareil programmable. En conséquence, ne sont pas brevetables les inventions consistant en des programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source, en code objet ou sous toute autre forme, qui mettent en oeuvre des méthodes pour l’exercice d’activités économiques, des méthodes mathématiques ou d’autres méthodes, si ces inventions ne produisent pas d’effets techniques au-delà des interactions physiques normales entre un programme et l’ordinateur, le réseau ou un autre appareil programmable sur lequel celui-ci est exécuté.

Cet article codifie « la doctrine de l’effet technique supplémentaire » de l’OEB, que l’OEB a lui-même admise être confuse, indésirable, et servant de bouche-trou jusqu’à ce que les brevets sur le logiciel en tant que tel soient légalisés.
 [1]

Article 2 : Mise en oeuvre des inventions papier et crayon

a) « invention mise en oeuvre par ordinateur » désigne toute invention dont l’exécution implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau informatique ou d’un autre appareil programmable, l’invention présentant une ou plusieurs caractéristiques qui sont réalisées totalement ou en partie par un ou plusieurs programmes d’ordinateur ;

b) « contribution technique » désigne une contribution à l’état de l’art dans un domaine technique, qui est nouvelle et non évidente pour une personne du métier. La contribution technique est évaluée en prenant en considération la différence entre l’état de l’art et l’objet de la revendication de brevet considéré dans son ensemble qui doit comprendre des caractéristiques techniques, qu’elles soient ou non accompagnées de caractéristiques non techniques.

Les problèmes avec cet article sont multiples :

  • « Un programme d’ordinateur exécuté par un ordinateur » satisfait à la définition d’ « invention mise en oeuvre par ordinateur ».
  • La définition de la « contribution technique » est exprimée de façon ambigüe et peut être interprétée de manière à englober les dispositifs non techniques (sachant que « l’objet de la revendication de brevet considéré dans son ensemble » doit comprendre des dispositifs techniques, ce qui sera réalisé simplement en mentionnant quelque part l’utilisation d’un ordinateur).
  • Le mot « technique » n’est défini nulle part, pourtant toutes les frontières de la brevetabilité s’articulent autour de ce terme. Tout et n’importe quoi, fait sur un ordinateur, a donc un « caractère technique » selon l’OEB mais il n’y a rien dans ces définitions (ni dans l’article 4) qui puisse contredire cette interprétation.

Récemment, la Chambre de recours de l’OEB a poursuivi la même façon de raisonner et a indiqué :
 [2]

La Chambre de recours est consciente que son interprétation relativement large du terme « invention » dans l’article 52 (1) CBE inclura des activités qui sont si familières que leur aspect technique tend à être sous-estimé, comme l’acte d’écrire en utilisant du papier et un crayon.

La proposition du Conseil implique que ce genre de « logique » est une réinterprétation valide de la loi. Combien de temps nous reste t-il avant que l’on s’attende à voir une autre proposition de directive, cette fois concernant la brevetabilité « des inventions mise en oeuvre avec du papier et un crayon », dans l’intention de « codifier le statu quo » et pour « empêcher une autre dérive vers le modèle américain du tout-breveter » ?


 Que voulons-nous ?

On peut trouver ci-dessous quelques points et articles essentiels. Plus d’informations sur le sujet sont disponibles sur Intérêts de la FFII concernant la directive de l’UE sur les brevets logiciels. La version de la directive approuvée par le Parlement européen en première lecture peut être consultée à cette adresse : 2003-09-24 Proposition du Parlement européen en 1re lecture (version finale).

  • Les exclusions de la brevetabilité qui peuvent aider à « harmoniser le statu quo »

Nous pouvons accepter à peu près n’importe quelle directive, tant qu’elle réside seulement dans des exclusions claires et simples de la brevetabilité. L’article 52(2) CBE se compose de telles exclusions. Il exprime dans des termes clairs et simples ce qui n’est pas une invention au sens du droit des brevets (par exemple : les programmes d’ordinateurs).

Nous ne pouvons pas accepter de langage inclusif, tel que « X devrait être brevetable » dans lequel X n’est pas à son tour délimité par des exclusions claires et simples. Le langage dans le style de celui du conseil, du type « X ne devrait pas être brevetable, que si [condition qui est toujours vérifiée] » est encore moins acceptable.

L’article 2 (tous les paragraphes) du Parlement européen se charge de définire de telles exclusions de manière claire et simple.

  • Liberté de Publication

Le premier intérêt de ceux que nous défendons est de manitenir le logiciel exempt de tout brevet, régi uniquement par le droit d’auteur. C’est-à-dire, même s’il existe des brevets sur les fameux « système anti-blocage (ABS) », « machine à laver », « aspirateur intelligent », etc., ils ne doivent s’appliquer qu’aux fabricants et usagers de ces équipements, pas aux gens qui créent ou fournissent des logiciels (= des logiques de contrôle, comparables à des notices d’utilisation) pour ces équipements.

Le Parlement européen a répondu à cette demande avec l’article 7 (paragraphes 1 à 3).

  • Liberté d’utiliser des ordinateurs au bureau et dans des environnements connectés

Nous ne pouvons pas accepter de restrictions quant à l’utilisation d’équipements qui ne sont que des ordinateurs à usage générique. Le Parlement a résolu ce problème par un énoncé clair et simple d’exclusion dans l’esprit de l’article 52 de la CBE, en déclarant que l’informatique n’appartient pas au domaine des technologies (article 3). En même temps, cet article garantit la conformité à l’accord ADPIC.

  • Liberté d’interopérabilté

Dans leur article 6, la Commission et le Conseil garantissent le droit d’ingénierie inverse des techniques brevetées (qui ne peut donc pas être interdite par l’utilisation d’un brevet en premier lieu), mais pas celui de profiter de la connaissance qui émane de ce processus (que le brevet interdit) à n’importe quelle fin que ce soit.

L’interopérabilité — c’est à dire la possibilité d’échanger de l’information avec d’autres programmes et systèmes — est pourtant extrêmement importante dans l’informatique. Ne serait-ce qu’au regard de l’Internet, constitué d’un très grand nombre de systèmes de types différents qui doivent être tous capables de communiquer entre eux.

Par conséquent, permettre l’utilisation des brevets pour interdire la conversion des normes de communication est très nocif dans un tel environnement. L’article 9 du Parlement européen prend soin de ce problème, bien que sa formulation pourrait être changée étant donné qu’elle s’applique seulement à l’interopérabilité au lieu de s’ouvrir à tous les « buts significatifs » (comme cela a été suggéré par le Luxembourg au Conseil).


 Quelques études et opinions à propos des brevets logiciels

Ce qui suit est une rapide vue d’ensemble sur les études faites et les avis émis sur les brevets logiciels. Une liste plus exhaustive se trouve à l’adresse : http://swpat.ffii.org/xatra/cons0406/parl/#ezt02

  • Regard empirique sur les brevets logiciels [BEH03]

Étude empirique de l’effet des brevets logiciels sur l’investissement dans l’innovation :

  • les brevets logiciels ont conduit aux États-Unis à un transfert des ressources de la R&D vers des activités liées au brevetage ;
  • plus de brevets a conduit à moins d’innovation même au sein des entreprises qui brevetaient le plus ;
  • la plupart des brevets logiciels sont détenus par de grosses entreprises de matériel et sont obtenus pour des raisons stratégiques plutôt que pour empêcher l’imitation de produits ;
  • les brevets gênent l’innovation au lieu de l’encourager dans des domaines où la majeure partie de l’innovation est incrémentale, tels que le développement de logiciels.
  • Innovation en Allemagne - Ouverture [DBR04]

Rapport de la Deutsche Bank pour le gouvernement allemand sur les moyens de favoriser l’innovation :

  • « Il n’est pas toujours plus avantageux d’avoir une plus forte protection de la Propriété intellectuelle (PI). Il y a des chances pour que les brevets sur les logiciels, qui sont une pratique courante aux USA et en passe d’être légalisés en Europe, étouffent en fait l’innovation. L’Europe pourrait encore changer de ligne de conduite » ;
  • « Opportunité 3 : Mettre en place un régime équilibré de protection de la PI pour favoriser la création et la circulation des idées » ;
  • « Mesures à prendre. Le gouvernement allemand fait partie de ceux qui suggèrent une critique du prix à payer pour les brevets logiciels dans l’Union européenne. Cette position devrait être soutenue, 1) en mettant en avant les preuves fournies par la recherche universitaire et 2) en écoutant les préoccupations des PME. Les PME sont le principal réservoir d’une innovation qui sort des sentiers battus mais ce sont elles qui sont les plus compromises par la brevetabilité ».
  • Opinion du Comité economique et social [ESC02]

Le CES est le principal organe consultatif de l’UE, son avis a été approuvé par le vote en séance plénière du Parlement européen lors de la première lecture.
Il ressort de l’étude du CES :

  • que le texte de la Commission autorise les brevets sur les programmes exécutés sur un ordinateur ;
  • que le texte de la Commission ne fait que codifier les pratiques juridiquement discutables de l’OEB ;
  • que le texte de la Commission n’empêche pas les brevets sur les méthodes d’affaires (ni sur toute autre méthode) ;
  • que l’on peut émettre des doutes sur les intentions de la Commission qui parle de plusieurs choses hors de propos (comme le piratage) dans son introduction ;
  • qu’« aucune analyse économique effective ne démontre l’effet positif affirmé des brevets portant sur les “ inventions mises en œuvre par ordinateur ” pour les PME-PMI » ;
  • qu’« il est difficilement plausible de laisser à penser qu’il ne s’agirait que d’une sorte d’expérimentation réversible pour les trois ans à l’issue desquels une évaluation serait menée » ;
  • que « c’est donc l’avis d’une douzaine de grandes firmes de logiciels essentiellement non européennes, en faveur des brevets, qui a été retenu pour l’essentiel », sachant de plus que « l’opinion contraire d’autres firmes importantes a aussi été ignorée, ainsi que certaines contre propositions en faveur d’un régime sui generis ou d’un modèle d’utilité aménagé » ;
  • que l’on peut se demander s’il convient « aujourd’hui d’étendre les brevets, outils de l’ère industrielle, à des créations de l’esprit, immatérielles, comme les logiciels et au résultat de leur exécution par ordinateur ».
  • Le dilemme numérique : Propriété intellectuelle à l’âge de l’Information [NRC00]

D’après un livre de la NSA (National Academy of Sciences, Conseil de la recherche nationale) des USA :

  • l’octroi de brevets logiciels a commencé aux États-Unis sans droit de regard des législateurs (tout comme en Europe) ;
  • des doutes sont apparus sur la capacité de l’Office des brevets des États-Unis à s’occuper de décisions relatives aux brevets logiciels ainsi que sur sa capacité à avoir ou non la connaissance suffisante et les informations disponibles sur l’état de l’art ;
  • le marché du logiciel est différent des industries traditionnelles : il n’existe que peu ou pas de marché des « composants », la plupart des gens écrivent des programmes en partant de zéro, sans consuler la littérature existante sur les brevets, avec par conséquent de grandes chances d’être en infraction ;
  • l’innovation dans le développement de logiciels se produit plus rapidement que dans les autres industries, les brevets sont souvent accordés après que la technologie est devenue obsolète ;
  • les brevets logiciels pourrait entraîner l’industrie du logiciel à cesser d’être un havre de créativité, la confinant aux grosses entreprises qui concluent des accords de licences croisées.
  • En faveur de l’Innovation : « L’équilibre approprié entre concurrence, droit des brevets et politique » [FTC03]

La FTC (Federal Trade Commission, Commission fédérale du commerce) des États-Unis a conduit des auditions pour évaluer si le système de brevet favorise et/ou empêche la concurrence dans différents domaines. Ses conclusions ont été consignées dans un rapport portant le titre ci-dessus :

  • toutes les industries ne sont pas identiques, dans le cas des industries de matériel informatique et de logiciel, les brevets sont de plus en plus utilisés dans un but défensif. Cela a pour résultat des « maquis de brevets » : c’est à dire un chevauchement et un enchevêtrement de droits de propriétés détenus par différentes compagnies, nécessitant l’accord d’une licence pour chacun de ces brevets avant que le produit puisse être commercialisé ;
  • l’industrie logicielle est caractérisée par une innovation cumulative, des besoins en capitaux faibles, des innovations conséquentes rapides ainsi qu’un cycle de vie des produits court, mais également par des incitations alternatives à l’innovation telles que le droit d’auteur et le logiciel libre. C’est tout à fait différent de l’industrie matérielle, des biotechnologies et de l’industrie pharmaceutique ;
  • la concurrence est le moteur de l’innovation dans l’industrie logicielle ;
  • les brevets logiciels peuvent entraver les innovations conséquentes et augmenter les coûts d’entrée sur le marché. Éviter l’infraction devient coûteux et incertain ;
  • les brevets triviaux posent également de gros problèmes.
  • Discussion sur la législation au niveau européen dans le domaine des brevets pour les logiciels [BAH02]

L’étude commandée par la commission à la justice (JURI) du Parlement européen, rédigée par la Direction générale de la recherche de la Commission européenne :

  • on constate des problèmes d’ordre général avec le sytème des brevets dans son ensemble ;
  • le problème des brevets triviaux ne peut être résolu en améliorant l’examen ;
  • les brevets logiciels ont déjà posé beaucoup de problèmes aux USA (d’ordre économique et administratif).
  • l’exigence d’une « contribution technique » dans la proposition de la Commission est trop vague et peut facilement être contournée, voire ne pas avoir être pertinente, selon l’aveu de la Commission elle-même (en ce qu’elle ne peut pas empêcher toutes les méthodes d’affaires d’être brevetées).
  • Commission consultative aux Affaires culturelles et à la jeunesse au Parlement européen [CULT03]
  • « technique » signifie « application des forces naturelles pour le contrôle d’effets physiques au delà de la représentation numérique de l’information » (Article 2) ;
  • le traitement de données n’appartient pas à un domaine technique (Article 3).
  • Commission consultative à l’Industrie et au commerce du Parlement européen [ITRE03]
  • la publication ne peut en aucun cas être considérée comme une infraction (Article 5) ;
  • l’interopérabilité ne peut en aucun cas constituer une violation de brevet (Article 6 bis).

 Historique de la directive

  • La Convention sur le brevet européen et l’Office européen des brevets

La Convention sur le brevet européen (CBE) a été ratifiée lors d’une conférence diplomatique intergouvernementale en 1973 et était le résultat d’une harmonisation du droit sur les brevets dans plusieurs pays d’Europe faisant ou non partie de l’Union européenne. Cette CBE a été à son tour incorporée dans le droit des brevets des différents pays souscripteurs.
Indépendamment du fait de fixer les conditions de la brevetabilité (y compris la non-brevetabliité des programmes d’ordinateur, des méthodes mathématiques, des règles d’exécution d’actes cérébraux...), la CBE a également assuré les bases de l’Office Européen des Brevets (OEB). Cette institution entièrement en dehors de l’Union Européenne, est autosuffisante (elle se finance avec l’argent reçu pour l’accord des brevets) et dirigée par les délégués des offices des brevets nationaux des pays souscripteurs.
En tant que telle, une directive de l’UE n’affectera jamais directement l’OEB, mais elle affectera l’applicabilité des brevets qu’elle garantit. Parce qu’ils doivent être appliqués par les tribunaux nationaux sous l’égide des lois nationales, elles-même liées aux directives d’européennes.

  • Introduction progressive des brevets logiciels

Comme décrit dans la section 1.2, dès 1985 les brevets logiciels ont commencé à être délivrés par l’OEB sous forme de revendication de procédé. Depuis 1998 les revendications de programme se sont aussi bien avérées acceptables.

  • Réécriture de la Convention sur le brevet européen

En août 2000, une nouvelle conférence diplomatique a été organisée dans le but de mettre fin à l’exclusion du logiciel de la brevetabilité de la CBE. Cette tentative a cependant échoué, en raison d’une résistance publique inattendue.

  • Présentation de la directive

En 2002, la Commission européenne a alors sorti une proposition de « directive sur la brevetabilité des inventions mises en oeuvreparordinateur ». Son texte a entièrement normalisé les pratiquesde l’OEB en matière d’octroi des brevets logiciels, sauf qu’il n’a pas permis les revendications de programme. Cette directive est élaborée sous la procédure de co-décision et a pour référence COD/2002/0047.

  • Opinions

Comme cela a été montré dans les diverses études et avis sur la question, le Comité économique et social européen (CES) a littéralement démoli la proposition de la Commission en septembre 2002. Début 2003, les comités d’ITRE et de CULTE du Parlement européen ont aussi modifié de manière substentielle la proposition dans leur avis au Comité JURI, qui était le garant de cette directive au Parlement européen. JURI a cependant ignoré la presque totalité de ces avis quand il a rédigé sa version finale en juin 2003. Il a conservé la garantie d’interopérabilité mais a rejeté tout le reste, et pour courronner le tout, a introduit les revendications de programme.

  • La première lecture au Parlement européen

Lors de sa session plénière du 24 septembre 2003, le Parlement européen a approuvé les avis du CES, de CULT et d’ITRE. Les articles essentiels (2, 3, 5 et 6, réformulés en 2, 3, 7 et 6) ont été tous amendés de manière cohérente dans ce sens.

  • Le Conseil et la Commission

Ensuite, c’était au tour du Conseil des ministres de l’UE d’exprimer son avis. Le texte modifié leur a été envoyé, avec une note de la Commission stipulant quels amendements leur semblaient acceptables [3].
Seuls les amendements approuvés par JURI se sont plus ou moins avérés acceptables ; l’essentiel des réalisations du Parlement européen ont été déclarés « inacceptables ».

  • Le Groupe de travail du Conseil

Ensuite, le groupe de travail du Conseil sur la propriété intellectuelle (brevets) a commencé à produire un texte soumis au vote du Conseil. Ce groupe de travail est principalement constitué des mêmes délégués des offices de brevets nationaux qui dirigent l’OEB.
Ils ont écrit le texte le plus extrême encore jamais vus jusqu’ici en faveur de la brevetabilité illimitée des logiciels, y compris une disposition pour accorder les revendications de programme. Il a de même été basé sur la proposition JURI et non sur la version plénière, comme le montre le fait de noter la suppression de l’article 8(d) [4]
. Le texte de JURI est le seul qui contienne un paragraphe numéroté ainsi.

  • Le vote du Conseil le 18 mai 2004

Naturellement, les ministres ne prennent pas toutes les décisions tout seuls, ils sont conseillés par les personnes bien informées de leur administration. Dans le cas de la directive sur les brevets logiciels, ces personnes étaient généralement celles qui ont commencé à mettre en pratique l’octroi des brevets logiciels à l’OEB, qui devront travailler sur les règles établies par cette nouvelle directive, et qui ont écrit le texte sur lequel les ministres ont dû voter : une fois encore les administrateurs des offices des brevets nationaux.

En conséquence, le Conseil a conclu « un accord politique (informel) sur une position commune du Conseil » basé sur le texte produit par leur groupe de travail.

Plusieurs irrégularités se sont produites lors du vote du Conseil du 18 mai 2004 [5].

  • Les tentatives de passage en « point A »

Généralement, la transformation d’un accord politique en position commune est une simple formalité. Celle-ci a été initialement projetée au 24 septembre 2004, mais le délai a été maintenant repoussé en novembre 2004, puis décembre 2004 et n’est toujours pas effective début mars 2005.

Les règles de procédure en vigueur dans les institutions europénnes prévoient en effet qu’une position commune du Conseil peut être prise en deux temps : il a tout d’abord discussion puis vote d’un accord — ce que l’on appelle un « point B » et c’est ce qui a eu lieu le 18 mai 2004 — puis dans un second temps, le dossier peut passer en « point A » pour une adoption formelle, sans vote et sans discussion lors d’une réunion du Conseil, peut importe que le thème de la réunion soit celui du dossier ou pas, les états membres étant censés s’être déjà mis d’accord.

Or, concernant la directive sur les brevets logiciels, l’accord a été bousculé par plusieurs gouvernement et parlement nationaux : la Tweede Kamer néerlandaise, le Bundestag allemand, le sénat espagnol, les gouvernements polonais et danois... Ainsi la mise à l’ordre du jour du texte en point A lors de deux Conseils sur l’agriculture et la pêche a paru peu cavalière, même si conforme aux règles de procédures. Et il a fallu que le ministre polonais de l’informatisation se déplace à ces réunions sur la pêche et demande que le point soit reporté.

Suite à cela, la Pologne a subit des pressions diplomatiques. On a argué de règles implicites interdisant de revenir sur un accord. Alors que si deux étapes ont été prévues, c’est justement afin de permettre à tout état membre de revenir sur sa position [6].

  • Le Parlement européen demande un redémarrage de la directive

Au début de l’année 2005, le Parlement européen a offert à tout le monde une chance de sortir du « bourbier » diplomatique dans lequel le Conseil s’était enfoncé. En raison des événements s’étant déroulés depuis sa première lecture, et notamment le fait qu’il ait été renouvellé après les élections européennes de juin 2004 avec, en outre, l’entrée d’eurodéputés de 10 nouveaux pays, le Parlement européen a demandé un redémarrage en première lecture de la procédure législative.

Bien que ceci ait été voté avec une majorité écrasante par la commission parlementaire aux affaires juridiques, confirmé par la Conférence des présidents et par un vote à l’unanimité du Parlement tout en entier en séance plénière, la Commission a indiqué fin février qu’elle refusait cette demande.

Dès lors, la directive devrait à nouveau passer en point A au Conseil Compétitivité du 7 mars 2005. Mais les tensions entre les différentes institutions s’intensifient et, pour reprendre les termes de Michel Rocard, la moutarde commence à monter au nez des eurodéputés devant ces « inélégances peu démocratiques ».


 Références

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  • [ITRE03] Commission ITRE. Avis de la commission de l’industrie, du commerce extérieur, de la recherche et de l’energie à l’intention de la commission juridique et du marché intérieur sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (COM(2002) 92 - C5-0082/2002 - 2002/0047(COD)). Avis, février 2003. http://www.europarl.eu.int/meetdocs....
  • [NRC00] National Research Council. The Digital Dilemma : Intellectual Property in the Information Age. National Academy Press, 2000. http://books.nap.edu/html/digital% ....

Voir en ligne : Version anglaise originale de Jonas Maebe


[4Voir l’article 8(d) sur http://register.consilium.eu.int/pd...

[5Pour plus de détails, voir http://swpat.ffii.org/xatra/cons040...

[6Pour plus de détails, voir les [explications du Dr. Karl-Friedrich Lenz, professeur de doit allemand et européen à l’université Aoyama Gakuin University à Tokyo, au Japon et membre du comité consultatif de la FFII :http://k.lenz.name/LB/]