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L’UE renforce le monopole de Microsoft
vendredi 26 mars 2004
Les procédures anti-concurrentielles de la Commission européenne contre Microsoft ont débouché sur un verdict boostant fortement la position de monopole de Microsoft sur le marché des OS et aident Microsoft à étendre cette position sur d’autres marchés. Alors que la Commission peut se targuer d’avoir gagné une somme substantielle en imposant une amende ponctuelle, équivalente à 1% des réserves de caisse de Microsoft, on peut voir entre les lignes de ce verdict un feu vert donné à Microsoft pour tuer ses principaux concurrents sur le marché des systèmes d’exploitation. Ce sous-entendu a été en même temps renforcé par les négociations en coulisses du Groupe sur la politique de brevets du Conseil de l’UE, dont des copies ont été transmises à la FFII. Immédiatement après l’annonce, le cours boursier de MSFT s’est élevé de 3%.
Le lendemain de l’annonce de la décision de la Commission européenne sur les pratiques anti-concurrentielles de Microsoft, la valeur de l’action MSFT a grimpé de 3 pourcents.
Alors que la Commission condamne Microsoft à une amende ponctuelle équivalente à 1% des réserves de caisse de la compagnie, la décision implique une interprétation extrêmiste de l’accord sur les ADPIC, selon laquelle Microsoft est autoriser à faire payer une « rémunération raisonable » pour l’utilisation de tout protocole propriétaire sur lequel la firme a obtenu un brevet en Europe.
Cela signifie, à moins que les amendements du Parlement européen à la proposition de directive sur les brevets logiciels soient totalement acceptés, que Microsoft aura reçu de la Commission européenne le feu vert pour tuer ses concurrents.
Comme le rapporte The Register :
Loin de pénaliser Microsoft, la décision de mercredi de la Commission européenne, en tant qu’opération permettant de vendre de licences sur les brevets, assure un avenir radieux à la compagnie, selon l’un des représentants parmi les deux seuls défenseurs des intérêts du logiciel libre appelés à témoigner durant l’enquête. Puisque Microsoft sera autorisé à demander des royalties sur les API qu’il publie, Jeremy Allison affirme que les projets tels que Samba, dont il a rejoint la direction de projet, pourraient buter sur des obstacles prohibitifs. Les concurrents de Microsoft utilisent des logiciels comme Samba pour accéder aux fichiers et aux services d’impression sur les machines Windows. L’enquête de la CE a été déclenchée par Sun Microsystems, qui, via des entreprises telles que ’Project Cascade’, a tenté de faire sous une forme propriétaire ce que faisait sous une forme libre Samba ou des projets similaires comme le client Evolution Exchange de Novell : offrir une infrastructure compatible, interopérable pour concurrencer les logiciels d’entreprise de Microsoft. Les rivaux de Microsoft sont devenus extrêmement dépendants de ces projets libres. Mais la décision de mercredi a divisé le camp anti-Microsoft de manière inopinée, a déclaré Allison. « L’UE avait une opportunité formidable mais elle est devenu trop gourmande », nous a-t-il dit hier, « Cela déchire la concurrence. »
Håkon Wium Lie, le PDG d’Opera Software, l’un des seuls concurrents restant de Microsoft sur le marché des navigateurs web, ajoute :
Il n’est jamais raisonnable pour une compagnie, quelque soit sa taille, de faire payer un concurrent juste pour l’utilisation des protocoles exigés pour l’interopérabilité. La seule rémunération raisonnable pour une telle utilisation est de ne rien payer du tout. C’est pourquoi au World Wide Web Consortium, nous avons décidé que les standards web devaient être libres de royalties.
Cette position a également été exprimée par le Parlement européen dans l’article amendé 6 bis sur les limites d’application des brevets en ce qui concerne l’interopérabilité.
Cependant, la Commission européenne combat l’article 6 bis du Parlement européen, en se fondant sur la même interprétation discutable de l’accord sur les ADPIC qu’elle a utilisé pour renforcer les intérêts monopolistiques de Microsoft dans le procès sur la concurrence.
Reinier Bakels, professeur en droit informatique à l’Institut pour l’Informatique et le Droit à Amsterdam et coauteur d’une étude sur les brevets logiciels commandée par le Parlement européen en 2002, commente :
Ne croyez jamais quelqu’un affirmant quelque chose sur les ADPIC sans vérifier dans le texte ! L’article 30 des ADPIC stipule clairement que les droits d’exclusion conférés par un brevet peuvent être limités par des considérations concurrentielles tant que cela n’empêche pas l’utilisation normale du brevet. La signification de la plupart des dispositions des ADPIC est abstraite et sujette à interprétation, mais je ne pense pas que beaucoup de personnes seraient d’accord pour que les interfaces de logiciels soient appropriables, et encore moins que « l’utilisation normale » des brevets soit de les rendre appropriables. Au lieu de ça, l’appropriation des interface entraîne des effets anti-concurrentiels qui appellent une solution systématique au sein du droit des brevets, en accord avec le test en trois étapes de l’article 30 des ADPIC. L’article 6 bis de la directive sur les brevets logiciels amendée par le Parlement européen est un exemple d’une telle solution sur ce point. La Commission européenne n’as pas assez expliqué pourquoi elle pensait différemment et comment elle interprétait l’article 30 des ADPIC. Au lieu de ça, la Commission montre régulièrement le même type d’utilisation sans interprétation des articles des ADPIC pour encourager la peur, l’incertitude et le doute (FUD : fear, uncertainty and distrust) au bénéfice de quelques intérêts anticoncurrentiels dans le domaine du logiciel.
Et ces commentaires ne tiennent même pas compte du fait que les brevets logiciels sur lesquels se fondent les tentatives d’appropriation des interfaces de la part de Microsoft ont été délivrés en contradiction avec la lettre et l’esprit de la Convention sur le brevet européen et en fait de l’accord sur les ADPIC lui-même, comme on peut facilement le constater et comme nombre d’experts l’ont souligné.
voir aussi L’Accord sur les ADPIC et les brevets logiciels et Interopérabilité et Brevet : Controverse au Parlement européen
La Commission semble avoir adopté son interprétation anti-concurrentielle de l’accord sur les ADPIC sous la pression de Frits Bolkestein, le commissionnaire de la Direction Marché intérieur, qui s’est plaint que les exigences d’interopérabilité prévues à l’origine soient trop sévères pour Microsoft et qu’elles auraient conduit à des sanctions de la part de l’OMC car elles n’étaient pas justifiables d’après l’article 30 des ADPIC.
La direction de Bolkestein a menacé le Parlement et a donné de mauvais renseignements au Conseil dans le but de promouvoir une interprétation extrémiste des ADPIC et de tracer la route d’une brevetabilité illimitée des logiciel, y compris des « méthodes pour l’exercice d’activités économiques mises en œuvre par ordinateur », dans l’UE.
Les textes utilisés par la direction de Bolkestein dans cette procédure sont issus de l’Office européen des brevets et de la Business Software Alliance. La proposition de directive sur les brevets logiciels portait la signature des même cercles proches de la BSA et de Microsoft, qui a été révélée par un document du gouvernement des USA contre l’article 6 bis du Parlement européen. Ce document a été transmis aux parlementaires européens (MPE) par la représentation des USA à Bruxelles au début septembre 2003.
Alors que Bolkestein paraît en permanence encerclé par un essaim de grosses entreprises et de lobbyistes de la communauté des brevets, il n’a jusqu’à maintenant jamais pris le temps dans son agenda sur les brevets logiciels de rencontrer un seul représentant du camp des critiques. La Direction générale Marché intérieur a toujours favorisé unilatéralement les intérêts de la « majorité économique » (i.e. les conseillers en brevets des grosses entreprises qui dirigent les commissions concernées à l’EICTA ou l’UNICE), sans même expliquer pourquoi les intérêts de l’autre bord ne méritaient pas d’être protégés. Il y a eu un blocage dans la communication depuis des années.
Toutefois, cela pourrait bien doucement changer. David Ellard, le successeur d’Anthony Howard en charge du dossier sur les brevets logiciels à la DG Marché intérieur, a accepté de participer à la conférence sur les brevets logiciels organisée par la FFII au sein du Parlement européen le 14 avril. Ce dialogue sera le premier de ce type depuis le début des plans de la directive de la Commission en 1997.
Le conseil de l’Union européenne, lors de sa session du 02/03/2004, a confirmé à nouveau son insistance dans une mauvaise interprétation de l’article 30 des ADPIC. Une motion du Luxembourg en faveur de l’article 6 bis de la Commission de l’Industrie du Parlement Européen a été rejetée. Au lieu de ça, le Groupe de travail sur les brevets du Conseil a opté pour un considérant disant que les problèmes de concurrence ne devaient pas être résolus au sein du droit des brevets mais traités au cas par cas dans des procédures anti-concurrentielles comme celle intentée contre Microsoft. Avec cette évolution de son précédent document de travail, le Conseil a poussé encore plus loin sa position non consensuelle de promoteur d’une brevetabilité extrémiste et d’une applicabilité des brevets non moins extrême dans l’Union européenne. Ces mouvements du Conseil se produisent également à l’initiative de la direction de Bolkestein.