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Interview de Gérald Sédrati-Dinet à la Une du Journal du Net
mardi 1er mars 2005
« A travers le logiciel, les pro-brevets visent les méthodes intellectuelles »
Le vice-Président et représentant en France de la FFII expose ses arguments en faveur de la directive sur les brevets logiciels, telle que votée par le Parlement européen en 2003.02 Mars 2005 JDN Solutions. La directive sur les brevets logiciels, telle que présentée actuellement au vote du Conseil des ministres européens, représente-t-elle selon vous un « compromis » ?
FFII Gérald Sédrati-Dinet. La BSA, que vous avez interrogée la semaine dernière [NDLR : lire l’article du 24/02/2005], parle de compromis. C’est très habile de sa part mais cela ne correspond qu’à un terme technique. Les ministres des Etats membres se sont en effet entendu en mai 2004 pour dégager une position commune [NDLR : lire l’article du 24/05/2004]... qu’ils n’arrivent cependant toujours pas à adopter.
Qui plus est, l’accord de mai 2004 est survenu dans des conditions douteuses. Tout d’abord, il s’est fait sous la présidence irlandaise, pas fondamentalement objective sur cette question car l’Irlande est un paradis fiscal pour les taxes sur les droits de propriété intellectuelle.
De nombreux incidents sont par ailleurs venus émailler la séance. On n’a ainsi pas demandé à la Pologne son avis après la pause ; le représentant néerlandais a donné son accord alors que son parlement lui avait signifié le contraire, il a par la suite invoqué une erreur de traitement de texte [NDLR : lire l’article du 12/07/2004] ; il y a eu une erreur de fax du côté du représentant hongrois... et des pressions ont été exercées sur le représentant danois alors qu’il posait des questions complémentaires. Difficile donc - même en termes techniques - de parler de compromis.
Et c’est d’autant moins un compromis que de multiples voix s’élèvent actuellement pour dénoncer la directive telle qu’elle est, notamment la Pologne, le parlement néerlandais, le Danemark...
« Les brevets accordés par l’OEB sont contraires au droit positif »
Les brevets actuellement déposés à l’Office Européen des Brevets sont-ils valables ?
Les brevets accordés par l’OEB sont contraires au droit positif, notamment la Convention sur le brevet européen. En outre, les engagements internationaux - accord sur les ADPIC de l’OMC, Convention de Genève sur les droits d’auteur, traité de l’OMPI sur la protection des logiciels - disent tous que les logiciels sont protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires.
La Convention sur le brevet européen - article 52 - exclut la brevetabilité des programmes pour ordinateurs « en tant que tels ». L’OEB exploite cette précision pour détourner l’intention originelle du texte et étendre le champ de la brevetabilité. L’OEB se rémunère sur les brevets qu’il accorde, rien d’étonnant à ce qu’il cherche à breveter le plus grand nombre de choses.
En 2002, le Commissariat général du plan en France rapportait : « seule la paix armée qui prévaut actuellement, précisément du fait de l’incertitude juridique qui entoure la notion de brevet “logiciel”, explique en effet que les brevets existants ne soient pas plus fréquemment utilisés ». En réalité, seuls quelques brevets de l’OEB sont utilisés ; leurs détenteurs savent que c’est contraire au droit positif, ils espèrent que la directive permettra de les appliquer mais ils ne sont toujours pas valables.
« La directive, telle qu’amendée par le Parlement européen, permet d’éviter les dérives américaines »
La directive sur les brevets logiciels permet-elle d’éviter les dérives constatées aux Etats-Unis ?
La directive - telle qu’amendée par le Parlement en septembre 2003 - est très claire et permet d’éviter les dérives américaines - où les procès et autres brevets fantaisistes s’enchaînent - en excluant le logiciel du champ de la brevetabilité.
Tout traitement de données n’est dès lors pas considéré comme technique, le logiciel ne peut pas lui même faire l’objet d’un brevet, les méthodes intellectuelles non plus, ni les méthodes commerciales ou éducatives. Par l’intermédiaire du logiciel, les pro-brevets tentent en effet de faire rentrer petit à petit ces méthodes dans le champ de la brevetabilité.
Le Parlement a défini très précisément ce qu’était la technique, Michel Rocard l’a également souligné, mais le Conseil des ministres n’en a donné qu’une définition tautologique : ce qui est technique implique selon lui l’emploi de moyens... techniques. C’est ce genre de choses qui a permis à l’OEB de breveter des méthodes d’affaires.
Une décision de la Chambre de recours de l’OEB, concernant un brevet déposé par Hitachi sur des enchères en ligne - cas T 0258/03 - avoue que la notion de technique employée au sens très large par l’OEB pourait couvrir l’utilisation du papier et d’un crayon : « la Chambre de recours est consciente que son interprétation relativement large du terme invention dans l’article 52 de la Convention sur le brevet européen inclura des activités qui sont si familières que leur aspect technique tend à être sous-estimé, comme l’acte d’écrire en utilisant du papier et un crayon ».
« Le texte du Conseil est en revanche l’un des plus extrémistes qui soient »
Que pensez-vous de la façon dont cette directive est promenée au sein des arcanes européennes ?
Elle est révélatrice du fonctionnement des institutions européennes. On constate le peu de pouvoir du Parlement par rapport à la Commission et au Conseil. C’est d’autant plus dommage que le Parlement est la seule instance démocratiquement élue. La Commission n’est contrôlée par personne, seul un droit de révocation totale - rarement utilisé - est donné au Parlement. La Commission est sujette à du lobbying intense, de la part de lobbies non européens, notamment la BSA, qui représente les gros éditeurs de logiciels. Le 17 février dernier, nous avons d’ailleurs organisé une manifestation dénonçant une Union bananière !
En ce moment, alors que le Parlement a clairement demandé un redémarrage à zéro de la directive - appuyé qu’il est par les députés polonais, le groupe des Verts, la commission parlementaire aux affaires juridiques, avec Michel Rocard comme rapporteur et la conférence des présidents. La semaine dernière, un vote unanime a eu lieu en séance plénière, tous les groupes politiques - le PS, les libéraux DLE, les verts, les communistes - ayant déposé des motions dans le programme législatif et le programme de travail de la Commission pour 2005.
La Commission attend que le Conseil se prononce, ce qui lui donnera une raison de refuser le démarrage à zéro demandé par le Parlement si le Conseil se prononce contre ce redémarrage. Alors que la Commission doit une réponse au Parlement, on aurait pu penser qu’elle serait plus proactive.
Et pour répondre à Francisco Mingorance de la BSA Europe, la position du Parlement n’est pas extrémiste car elle ne fait que confirmer le droit positif actuel. Le texte du Conseil est en revanche l’un des plus extrémistes qui soient, car il va plus loin que celui de la Commission, en autorisant les revendications de programmes dans les brevets qui viennent se rajouter aux revendications de procédés.
Dans le cas des revendications de procédés, on expose une méthode, on décrit comment on fait les choses, c’est du pur traitement de données. Mais quand on parle de revendications de programmes mettant en œuvre une méthode - ce qui a été ajouté par le Conseil - on interdit l’utilisation, mais aussi la publication et la distribution de tels programmes, tout comme dans le cas d’une réaction chimique, si quelqu’un interdisait aux autres non seulement de produire la réaction chimique mais également de diffuser la description de son fonctionnement.
« La France et la plupart des Etats membres ont tout à gagner d’un redémarrage de la directive »
En conclusion, je dirais que la question des brevets logiciels devrait être une question d’informatique, de société de l’information plus précisément, plus qu’une question de droit de propriété intellectuelle. La France et la plupart des Etats membres ont tout à gagner d’un redémarrage de la directive. Il faudrait confier le dossier non pas à l’organisme à l’origine du problème - l’INPI - mais à un groupe interministériel qui plancherait sur la question de la protection des auteurs de logiciels plus que sur la protection du logiciel en lui-même, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Fabrice DEBLOCK, JDN Solutions
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